La grève en France

 


1) L'évolution du droit

1.1) Révolution française

1er age de la grève, celui de l’interdiction

Décret d’Allarde du 2 et 17 mars 1791. Supprime les corporations, les communautés d’arts et métiers.

Loi Le Chapelier des 14-17 juin 1791. Interdit les coalitions et les organisations corporatives, en vue d’empêcher la création de monopôles et de corps intermédiaires entre le citoyen et l’Etat. Les droits de réunion et de coalition sont interdits aussi bien pour les maîtres que pour les ouvriers. Affirme la volonté d’instaurer la liberté du travail en faisant de ce dernier une marchandise obéissant à la loi de l’offre et de la demande.

Cela met un terme à un élément fondamental du système socio-économique de l’Ancien Régime qui réglementait l’organisation du travail dans les villes, assignait à chacun une place dans la hiérarchie de la société laborieuse, ordonnait dans un cadre normatif encadré et contrôlé les rapports sociaux de l’atelier. La liberté d’entreprise est substituée à un système qui définissait strictement les relations entre maîtres, compagnons et apprentis. On quitte le régime de la tutelle des travailleurs pour ériger l’ère du contrat.

La notion « d’entrave à la liberté du travail » date de cette loi. Le libre contrat est posé comme principe de base des nouveaux rapports sociaux.

« Faire grève » c’est de « ne point travailler pour faire augmenter [de prix] leurs journées », ou simplement « attendre un emploi », comme le faisaient traditionnellement les différents corps de métiers sur la place parisienne du même nom, près de l’Hôtel de Ville.

1.2) Premier Empire

La loi du 12-22 avril 1803 crée le délit de participation à une coalition ouvrière, et rend obligatoire le livret ouvrier. L’Etat et le législateur déploient une politique de contrôle du milieu ouvrier.

Le livret ouvrier contient le signalement et l’état civil de son possesseur qui doit y faire indiquer par le patron ses dates d’arrivée et de départ de l’atelier ou de l’usine. Sa possession est obligatoire, sous peine de tomber sous le coup de la répression du vagabondage. Cette législation illustre l’état de marginalité, de contrôle et de soumission dans lequel se trouve l’univers laborieux.

La condition prolétarienne : rétribution proche du minimal assurant juste la reproduction du travailleur et de sa famille, absence de garantie légale, change fréquemment de place, se louant au plus offrant lorsqu’il dispose d’une compétence professionnelle reconnue.

Le délit de participation à une coalition ouvrière est inscrit dans le Code Pénale promulgué en février 1810

On ne relève que quelques dizaines de conflits par ans.

Le mouvement ouvrier naissant subie parfois des répressions sanglantes telle la plus importante : la répression des contestations des canuts lyonnais en 1831 et 1834 faisant plusieurs centaines de victimes, morts ou blessés.

La suspension délibérée de la production n’est pas désignée par un terme spécifique. Elle est englobée dans celui de « coalition », définition beaucoup plus large, qui en 1840, est définie comme étant « un accord illégal de plusieurs individus pour porter préjudice à un autre ».

1.3) Fin du Second Empire

2ème age de la grève, celui de l’intégration

La loi du 25 mai 1864 supprime le délit de « coalition » et le remplace par le délit « d’atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail ». Une certaine tolérance est inscrite dans la législation.

La grève devient, dans le sens commun « une cessation collective du travail » et supplante le terme de « coalition », et sa pratique commence à se diffuser modestement.

On relève de 200 à 300 conflits par ans.

La loi du 19 mai 1874 instaure la scolarisation obligatoire jusqu’à 12 ans, réduit la durée du travail des femmes et des enfants, et crée l’inspection du travail.

1884. Légalisation des syndicats. L’organisation a pour fonction latente, d’instaurer une tradition du conflit qui contribue à réduire la violence des luttes d’intérêts. La pratique gréviste se rationalise et perd progressivement son caractère romantique de lutte de barricades.

La loi du 2 novembre 1892 sur la conciliation et l’arbitrage. Les premières initiatives en faveur d’une régulation des grèves voient le jour.

A partir de 1904, on relève plus de 1000 conflits par ans, niveau qui se maintient jusqu’à la veille de la Grande Guerre.

Le 25 octobre 1906 création du ministère du travail dont le premier titulaire est René Viviani.

La loi ne permet toujours pas aux fonctionnaires de faire grève. Et il y eut quant même des mouvements de grèves importants des postiers en 1906 et 1909.

1.4) La Grande Guerre

La deuxième révolution industrielle est le moment de cristallisation d’un monde ouvrier désormais moins hétérogène, plus dépendant de l’usine qui devient son seul horizon. L’ouvrier-paysan, très présent en France jusqu’à la fin du Second Empire, disparaît au terme du XIXe siècle, l’usine et sa discipline gagnent du terrain, l’économie est industrielle, l’ouvrier a pour seule source de revenus le salaire. La grève devient donc le mode de contestation qu’il utilise de plus en plus souvent pour améliorer ses conditions d’existence.

1919-1920, pic remarquable avec environ 2000 grèves et pour la première fois, plus d’un million de grévistes.

La grève s’affirme comme un fait social incontournable, une action collective en voie de banalisation. Elle acquiert progressivement une légitimité dans l’ordre des rapports industriels. La tension entre le capital et le travail est devenue une institution légale de la société. Certaine caractéristique de la grève en son modifiée en profondeur : la violence s’estompe, la mise en grève apparaît comme un acte plus réfléchi, moins impulsif, les mouvements sont sans cesse d’avantage encadrés par les organisations syndicales. Bref les conflits du travail se normalisent, deviennent une épreuve de force quasi naturelle des systèmes sociaux industriels. En somme, à la veille de la seconde guerre mondiale, la voie est ouverte à leur institutionnalisation.

La condition ouvrière : Un nouveau rapport salarial s’est constitué, à travers lequel le salaire cesse d’être la rétribution ponctuelle d’une tâche. Il assure des droits, donne accès à des prestations hors travail (revenue indirecte : maladies, accidents, retraites) et permet une participation élargie à la vie sociale : consommation, logement, instruction, et même, à partir de 1936, loisir.

1930 : La période de crise économique ralentit l’élan gréviste.

1936 : Front populaire, 2ème record de grèves après mai 1968.

La vague de grèves et les lois du Front populaire qui s’ensuivent imposent la reconnaissance des délégués ouvriers élus.

Les lois de décembre 1936 et de mars 1938 instituent des procédures de négociations collectives, en vue de substituer la négociation au conflit.

1.5) La Seconde Guerre mondiale

Régime de vichy : les conflits sociaux sont interdits entre 1940 et 1944, mais ne disparaissent pas tout à fait du paysage social de cette époque agitée, comme en témoigne quelques mouvements emblématiques, tels ceux des mineurs ou des débrayages des cheminots.

1.6) Les Trente Glorieuses

3ème age de la grève, l’institutionnalisation

Une période de transformations majeures s’amorce en France, des réformes et de nouveaux droits sociaux sont prévues par le programme du Conseil National de la Résistance.

Le préambule de la Constitution d’octobre 1946, auquel renvoi celle de la Ve République, inscrit le droit de grève dans la constitution, en ces termes : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglemente. ». Il n’y pas de loi sur la grève hormis des cas particuliers. C’est donc la jurisprudence, très fournie, qui réglemente pour l’essentiel le droit de grève.

La loi du 11 février 1950 relative aux conventions collectives introduit une disposition essentielle, selon laquelle « la grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié », mais ne fait que le suspendre. Elle énonce ainsi une disposition majeure qui renverse une jurisprudence jusqu’alors hostile à la grève, la considérant comme une rupture dudit contrat.

Désormais hissée au rang de droit constitutionnel, la grève devient une faculté commune à l’ensemble des salariés, dont ne sont exclues que quelques catégories bien spécifiques (police, armée, administration pénitentiaire, magistrature).

La grève des services publics en 1953 marque la mise en mouvement massive de cette catégorie de salariés.

La charte sociale européenne d’octobre 1961 reconnaît le droit de grève.

La loi du 31 juillet 1963 institue pour les fonctionnaires, un préavis syndical de cinq jours avant le déclenchement d’un mouvement de grève.

1968 : L’activité conflictuelle connaît un sommet couronné par mai-juin 1968 qui, avec quelque 7 millions de grévistes, demeure la vague de grèves la plus imposante.

La Loi du 27 décembre 1968 légalise la section syndicale d’entreprise. Les élus syndicaux deviennent, à l’intérieur de l’entreprise, des « salariés protégés » dont la loi et la jurisprudence entravent le renvoi arbitraire.

Cet apogée de la grève s’interrompt peu après le déclenchement de la crise économique mondiale après 1970. Le nombre de grève est divisé par 2, et le nombre de gréviste est divisé par 3.

La fonction publique d’Etat occupe une part grandissante dans les conflits du travail

La loi du 14 novembre 1982 sur la négociation collective, dans le cadre des lois Auroux, fait obligation aux partenaires sociaux de discuter chaque année des salaires et du temps de travail.

Le recours à la justice est devenu un substitut au conflit ouvert.

La chartre des droits fondamentaux de l’Union européenne de l’an 2000 reconnaît le droit de grève.

 


2) Les motifs de la grèves 

2.1) Le salaire

En 1871 et 1890 les deux tiers des revendications se rapporte directement au salaire. Le salaire indirect demeure inexistant.

Les professions les mieux organisée cherche à substituer au marchandage individuel du niveau de la rémunération, une élaboration collective de ce dernier, par la demande de tarifs uniques régionaux et professionnels. Il s’agit de transformer l’arbitraire maquis des rémunérations individuelles en véritable contrat collectif des salaires. Les ouvriers du bâtiment se trouvent à la pointe de ce combat. Dans ce secteur existent des séries de prix fixées par les pouvoir publics pour toute une ville. Elles n’ont cependant qu’une valeur indicative, ce qui conduit les « gars » du bâtiment à mener de nombreuses grèves jusqu'à la Grande Guerre, pour faire appliquer ces tarifs, les rendre obligatoires et les ériger en salaire minimum.

Les modes de rémunération font aussi l’objet de litige plus nombreux. Les ouvriers s’opposent au travail aux pièces, privilégié par l’employeur car susceptible d’activer la production et de réaliser des économies sur les charges salariales. Ils réclament une rétribution au temps, parfois à la journée, plus souvent à l’heure, une notion plus concrète qui permet d’introduire celle d’heures supplémentaires. Une soixantaine de grèves sont en outre menées pour obtenir un meilleur rythme de paie, plus rapproché.

1910 : création de la retraite ouvrière

1930 : création de l’assurance sociale

La mise en place des premiers éléments d’un salaire indirect (retraite, assurances sociales) va influer sur les revendications. Les revendications régulatoires prennent de l’ampleur, alors que grandit l’aspiration à des conditions d’existence plus stables.

1951 : création du SMIG. Le salaire indirect représente désormais le tiers du revenu ouvrier.

Dans les années 1950 à 1960, 70% à 85% des grèves ont comme motifs les salaires.

Dans les années 1960-1970, la demande classique d’une augmentation de salaire est moins fréquente qu’auparavant, au profit de doléances plus qualitatives.

Dans les années 1980 le motif des salaires est concurrencé par le problème de l’emploi. Protéger ou conserver son emploi devient une préoccupation grandissante qui occulte en partie la question salariale. En outre, la revendication collective sur les salaires n’est pas facilitée par les politiques d’individualisation qui ne cessent de gagner du terrain à partir des années 1970-1980. D’autant plus que, face à cette mutation, les réactions des syndicats ne sont pas unanimes : La CGT et FO y sont plutôt opposées, alors que la CFDT s’emploie surtout à discuter ses modalités d’application. Enfin la mise en place de procédures de négociation obligatoires sur les salaires après le vote des lois Auroux de 1982 permet de résoudre en amont une partie des griefs en matière salariale.

Dans la seconde moitié des années 1990 les salaires sont le motif du déclenchement de 37% des grèves en 1996 et de 27% des grèves en 1999

2.2) Le temps de travail

La diminution du temps de travail est la deuxième revendication qui vient après l’augmentation du salaire.

Au début de l’industrialisation, le temps de travail s’accroît pour atteindre un maximum vers 1835-1840, avec des journées de douze à quinze heures. Les ouvriers du bâtiment sont les premiers à revendiquer la journée de 10 heures.

A la suite d’une prise de conscience largement due aux enquêtes des hygiénistes sur les conditions des femmes et surtout des enfants, les premières lois sont votées. Ainsi, en mars 1841, la journée est limitée à 8 heures pour les 8-12 ans et à 12 heures pour les 12-16 ans.

Le premier texte qui encadre le temps de travail des adultes intervient après les journées révolutionnaires de février 1848 qui mettent un terme à la monarchie de juillet. Mais il est aboli en juin 1848, peu après l’écrasement dans le sang des barricades parisiennes.

Sous le Second Empire, la revendication de la journée de 10 heures réapparaît dans les mouvements sociaux des années 1860. La demande d’un repos hebdomadaire reste très marginale.

En 1890, un palier symbolique est franchi dans l’histoire de la revendication du temps de travail : en France et en Europe, le 1er mai devient une journée de grève pour l’obtention des 8 heures. Le rituel qui s’instaure donne une valeur emblématique à ce thème, contribue à le populariser et accentue la pression sociale en faveur d’une telle réforme.

La loi Millerand-Colliard du 30 septembre 1900 prévoit de limiter le temps de labeur à 60 heures par semaine.

La loi du 13 juillet 1906 instaure le repos hebdomadaire obligatoire de 24 heures.

En 1906, 30% des grèves ont pour demande une baisse du temps de travail.

La loi du 11 juin 1917 instaure le repos le samedi après-midi dans les secteurs de la couture, la mode et de la confection.

La loi du 23 avril 1919 institue les 8 heures par jours, ou les 48 heures par semaine, ou soit une limitation équivalente établie sur une période de temps autre que la semaine. Cette loi suggère une flexibilité des horaires, et les employeurs obtiennent la possibilité de recourir à un volume conséquent d’heures supplémentaires.

L’application de cette loi, subordonnée à la publication de décrets longs à négocier, surtout en raison du grand nombre d’heures supplémentaires réclamé par les patrons, motive la majeure partie des grèves sur la durée du travail jusqu’au Front populaire : Les ouvriers arrêtent la production pour demander une stricte application du texte.

Dés 1919 la préoccupation d’un congé annuel payé devient une préoccupation grandissante, d’abord du mouvement syndical avant d’apparaître dans les conflits sociaux. Les ouvriers parisiens qui sont parmi les premiers à formuler ce grief, le font figurer dans 79 grèves sur près de 2500. Cette revendication émerge aussi en province dans la seconde moitié des années 1920.

La loi de juin 1936 institue les 15 jours de congés payés ainsi que la semaine de 40 heures. Cette loi prend ses racines plusieurs années auparavant, et est la combinaison d’un rapport de forces immédiat favorable au mouvement ouvrier et l’aboutissement d’une évolution des mentalités en germe dès les lendemains de la Grande Guerre.

Mais de mai à novembre 1938, les décrets-lois du ministre des finances, Paul Reynaud, autorisent la multiplication des heures supplémentaires et permettent d’organiser la semaine de 6 jours. Un nouvel allongement de la durée du travail s’amorce.

Après 1945, la semaine de 40 heures est officiellement rétablie. Mais dans la pratique, la durée hebdomadaire du travail augmente jusqu’en 1976. Les mineurs travaillent 47 à 48 heures par semaine, on travaille 45 heures dans la métallurgie.

Après la Seconde Guerre mondiale l’idée d’une moindre fatigue au travail est prolongée par celle d’un droit légitime au temps libre et aux vacances.

1956 : Les congés payés sont portés à trois semaines

1969 : Les congés payés sont portés à quatre semaines

1982 : La semaine de 39 heures, la cinquième semaine de congés payés et la retraite à 60 ans.

1990 : Développement du temps partiel.

1998 : La semaine de 35 heures. Elle résulte d’une volonté politique de réduire le chômage en partageant le travail. Mais ses modalités d’application sont à l’origine d’une recrudescence des conflits. En effet les revendications pour l’aménagement et la réduction du temps de travail constituent une cause de mise en grève sur 9 en 1997-1998, 1 sur 4 en 1999, 1 sur 3 en 2000. Elles donnent lieu, par exemple, à des mobilisations massives et répétées dans la fonction publique.

2.3) La modernisation du travail

Le plus long conflit est celui du tissage Plancke d’Hazebrouck, où les ouvriers refusent l’introduction du métier automatique qui permet la conduite de plusieurs métiers par un seul d’entre eux. Déclenchée en avril 1908, elle s’achève au bout de huit mois, quand le patron accorde la possibilité de refuser d’œuvrer sur ces machines.

Chez Renault se déroulent, en décembre 1912 et février-mars 1913, les premières grandes grèves contre une tentative de chronométrage. Des griefs traditionnels émergent : la crainte d’une pression sur les salaires et les rythmes de travail. Le point de vue des ouvriers de chez Renault : « Le chronométrage […] détermine un surcroît de production énorme en même temps qu’une diminution de salaire pouvant aller jusqu’à 50% »

Dans les années 1960 la contestation ne se limite pas au monde de l’industrie et touche aussi le tertiaire. Par exemple, la grève des banques déclenchée en mars 1974 est motivée par les conditions de travail des employés, modifiées notamment par le développement de l’informatisation et de la parcellisation des tâches. Les employées « se sont retrouvées entassées à plusieurs dizaines dans un bureau, à taper des bordereaux du matin au soir. […] Les machines font un boucan à ne plus s’entendre. […] ″En cinq ans, nous sommes toutes bonnes pour la scoliose et, en beaucoup moins, pour les dépressions nerveuses à répétition. Ce n’est pas du travail : c’est de l’abrutissement organisé″. »

Ces conflits restent toute fois marginaux. De 1979-1986, ainsi que dans la première moitié des années 1990, ces griefs sont la raison principale de mise en grève de 7 à 8 % des cas, et en 1996-1997 de 15% des cas.

2.4) L’emploi

Jusqu’à la construction des Etats sociaux qui s’accompagne, dans les années 1960-1970, de protections accrues en matière d’emploi, les patrons peuvent congédier sans aucune contrainte leurs ouvriers jugés peu productifs ou insuffisamment adaptés à la discipline de l’usine. Cette situation donne lieu régulièrement à des grèves destinées à défendre les ouvriers ainsi renvoyés.

Les périodes de crise économique, propice aux licenciements, voient éclore en grand nombre des mouvements dont l’objectif prioritaire est le maintient de l’emploi.

Avant la Grande Guerre les conflits liés à l’emploi sont plutôt rares. Et les moments de crises 1921, 1927, et surtout dans la première moitié des années 1930, voient croître les oppositions aux licenciements et représente 10% des grèves entre 1919 et 1935. Les Trente Glorieuses et leur plein emplois estompe logiquement ce problème. Et en 1970 réapparaît les conflits liés à la préservation de l’emploi, au refus des licenciements ou à des mesures de reclassement, 10% en 1977, 33% en 1980. Des conflits retentissant émergent, accompagnés d’occupations d’usines, quelque fois de la remise en route par les ouvriers eux-mêmes de l’outil de production, comme le font les ouvriers de chez LIP en 1973 ou les femmes de la CIP en 1975. D’autres mouvements de grande ampleur sont ensuite menés contre des restructurations qui touche des industries lourdes en voie d’extinction tel que la sidérurgie lorraine en 1979 et en 1984.

En 2000 14% des cas de conflits sont relatif à l’emploi. la fermeture de sites industriels donne lieu à des conflits au retentissement médiatique considérable. Et les plans sociaux, les restructurations et les fusions, généralement accompagnées de suppressions d’emplois, font surgir de nombreuses luttes défensives.

2.5) La discipline au travail

Les différents sur les règlements d’atelier représentent 5 à 10% des cas de conflit entre 1871 et 1914, et disparaissent dans le Paris de l’entre-deux-guerres.

Revendication sur la place des syndicats : Avec un point culminant en 1887, elle est soulevée dans 5% des conflits lors des deux dernières décennies du XIXe siècle. Il s’agit de grèves retentissantes, âpres, les positions irréconciliables : les négociations sont rares, et la durée de la grève souvent longue, jusqu’à 45 jours en moyenne. Dans la plupart des cas, la grève est déclenchée par le renvoi des ouvriers syndiqués.

Entre les deux guerres, la revendication pour une reconnaissance par l’employeur des délégués ouvriers apparaît dans un nombre de grèves tout aussi fréquent. Un mode ouvrier mieux intégré, organisé, aspire désormais à voir admis un interlocuteur institutionnel.

Cette reconnaissance de représentant choisis par les salariés, qui implique d’accepter la représentativité et la présence, sur le lieu de travail, d’un contre-pouvoir, est farouchement rejetée par les patrons. C’est en 1936 que les délégués ouvriers sont imposés, et ce n’est qu’après les événements de mai 1968 que la section syndicale d’entreprise est légalisée et que les élus syndicaux sont protégés contre le renvoi arbitraire.

Les différends en la matière sont désormais réglés davantage devant les tribunaux qui, chaque année, prononcent une centaine de condamnations suite à des mesures de licenciement des représentants du personnel jugées discriminatoires.

Dans les secteurs où le fait syndical est encore fragile, des grèves ont encore lieu pour s’opposer au renvoi de militants tel dans la restauration rapide en 2001-2002

Les différents avec le personnel d’encadrement : entre 1871 et 1890 : 150 grèves demandent le renvoi de cadres. Tombe à 1,5 % dans le Paris de l’entre-deux-guerres. Les griefs nés de relations conflictuelles avec les cadres resurgissent périodiquement. En témoigne la multiplication, ces deux dernières années, de conflits souvent médiatisés dont l’enjeu est le harcèlement moral. Ce dernier « émane le plus souvent de cadres qui se voient fixer des objectifs de plus en plus difficiles à tenir et qui font peser sur leurs subordonnés la pression dont ils sont eux-mêmes l’objet ». Les salariés demandent le renvoi du directeur, pour ne plus venir « travailler la peur au ventre », à l’instar de ceux d’une entreprise nancéienne en grève pendant près de trois semaines en mars 2000.

La loi de « modernisation sociale » de janvier 2002 améliore en effet le dispositif de lutte contre le harcèlement sur le lieu de travail et fait apparaître dans le Code du travail, pour la première fois, la notion de harcèlement moral.

 


3) Les modes de grève

3.1) Grèves subites

C’est au cours du premier âge de la grève, lorsque les coalitions sont interdites, que la part des mouvements subits atteint sa plus haute fréquence.

Le 11 décembre 1830, les imprimeurs sur étoffe de Dornach (Haut-Rhin) « ne se présentèrent pas à leur atelier pas plus qu’ils ne se présentèrent pour toucher la paie qu’ils devaient recevoir ce jour-là. Le lendemain, après une réunion dans un cabaret, ils décidèrent de se rendre auprès des propriétaires de la fabrique » ce qu’il firent deux jours après le début de leur grève.

Procédé mis en œuvre par des ouvriers de la région rouennaise : « Avant 1849, en Seine-Inférieure, se produisaient des manifestations d’une nature particulière : il arrivait assez fréquemment que des ouvriers faisaient ce qu’on appelait un bloc. A un jour donné pour une raison quelconque et sans avertissement de leur part, ils cessaient le travail, l’établissement était bloqué, c’est à dire placé dans une espèce d’interdit. »

On voit même, jusque dans les années 1871-1890 surtout, des ouvriers quitter l’usine sans rien demander dans l’immédiat. Parfois, le travail cesse et reprend sans que des revendications ne soient jamais formulées : à Pérenchies (Nord) en mars 1889, « les tisseurs ont cessé le travail durant deux jours et cela sans réclamer aucune augmentation de salaire ». L’effet de contagion peut intervenir. Des tisseurs de Lille, interrogés en mai 1890 sur leur attitude, alors qu’un mouvement se développe dans la profession, « donnent comme motif de leur cessation de travail qu’ils veulent faire comme les autres ». Les grèves de défense sont le plus souvent subites, sans préavis, réaction instantanée à la remise en cause inattendue des conditions de travail. Mais il arrive aussi que des grèves offensives utilise ce procédé comme lorsque, le 14 décembre 1929, trois cents serruriers parisiens « ont abandonné le travail tandis qu’une délégation se présentait à la direction pour demander une augmentation de salaire… » Il s’agit alors pour les grévistes d’un mode de pression raisonné qui crée un rapport de forces immédiat, montre leur détermination et laisse ainsi espérer des concessions rapides du patron.

Exemple de grève subite à Saint-Nazaire en 1955 : « Depuis plus d’un mois les soudeurs emploient une forme d’action efficace. Chaque semaine, ils observent une journée de grève-surprise. Cela veut dire que, inopinément, une affichette est apposée dans les ateliers un soir de la semaine, une demi-heure avant la débauche, demandant aux soudeurs de ne pas se présenter au boulot le lendemain. » De même, en octobre-novembre 1984, les chauffeurs de bus de Montpellier cessent subitement le travail à plusieurs reprises. Cette tactique découle d’une décision prise par le personnel en assemblée générale.

3.2) Grèves annoncées

Le plus souvent, c’est encore devant une simple mise en demeure que se trouve l’employeur : une délégation d’ouvriers se présente devant lui, formule des demandes (ou dépose un cahier de revendications), et s’il ne les accepte pas, la grève est déclenchée, et il n’y a pas beaucoup de délais laissés à l’employeur, des fois quelques heures ou le temps d’une soirée. C’est ainsi que les fondeurs en fer de la région rouennaise, en avril 1870, adressent un ultimatum à leur patron :

« Monsieur Elméring, les ouvriers de votre établissement ont l’honneur de vous demander l’abolition de vos règlements […]. Les ouvriers ne peuvent marcher plus longtemps dans ces conditions. Ainsi, Monsieur, veuillez bien vouloir demain, à 6 heures du matin, rendre votre réponse, car les ouvriers ne commenceront pas avant [de l’avoir reçue]. »

En l’absence de réponse du patron, la grève commence. Un week-end de réflexion peut aussi être accordé, comme avec ces ouvriers mécaniciens et électriciens de Paris qui le samedi 8 janvier 1926, envoient une délégation auprès de « la direction pour demander une indemnité de vie chère de 5 Francs. Devant le refus opposé par la direction, 50 ouvriers ont abandonné le travail lundi matin à 11 heures »

Lorsque le temps qui sépare le dépôt des revendications du début de la grève est de plus longue durée, la présence d’une organisation syndicale est presque toujours relevée. Elle est sans doute seule à même de contrôler la situation dans un tel cas de figure, de freiner les ardeurs offensives des ouvriers. Plusieurs mois peuvent s’écouler entre l’énoncé des revendications et la grève.

Après la Seconde Guerre mondiale, la grève s’institutionnalise. Les mises en mouvement subites sont l’exception ; la règle est celle de l’annonce et du préavis. Dans les services publics ce dernier a même force de loi depuis 1963.

Cela dit, la spontanéité de la grève ne disparaît jamais vraiment. Elle connaît des résurgences parfois fortes, comme en mai 1968 et dans les années qui suivent, où la mise en mouvement se produit simultanément au dépôt des revendications, le précède même parfois.

3.3) La grève perlée

La production est ralentie ou exécutée de manière volontairement défectueuse pour rendre suffisamment insupportable, aux yeux de l’employeur, la baisse du rendement. Utilisée par les compagnons imprimeurs dès le XVIe siècle, elle l’est aussi régulièrement dans le bâtiment. Cette forme de travail au ralenti est aujourd’hui interdite.

3.4) La grève du zèle

Elle consiste à freiner l’exécution du travail par le respect scrupuleux des formalités administratives, du règlement de la profession ou de l’établissement concerné. Pour les métiers exclus du droit de grève, elle représente une forme d’opposition privilégiée, comme l’ont montré des gendarmes d’Aquitaine à l’automne 2001.

3.5) Grèves tournantes

Voici une description telle qu’usitée dans le bâtiment parisien au début du XXe siècle :

« Les ouvriers désertent un chantier et sont soutenus pécuniairement par leurs camarades jusqu’à ce que les patrons aient cédé aux revendications présentées. Immédiatement après la signature d’un contrat sur ce point, les ouvriers d’un autre chantier quittent en bloc le travail. Et ainsi de suite. »

La grève tournante revient à l’avant scène, en particulier à la fin des années 1950, Sa pratique s’adapte à la parcellisation des tâches qui se développe alors dans l’industrie : au travail en miettes correspond la grève en miettes. Le conflit de l’usine Thomson-Houston de Bagneux en octobre-novembre 1959 en donne une illustration emblématique. Les syndicats organisent « une série de coups de boutoir établis en fonction du planning de l’entreprise. Ici un labo, là un atelier ou un secteur d’atelier débrayaient une heure, une heure et demie […] la répercussion de ces différents bouchons était telle que c’est toute la production de l’entreprise qui se trouvait paralysée. Au total 10% d’heures de grève ont bloqué toute la production pendant six semaines ». Cette forme de grève tournante qui touche un atelier ou un service clé de l’usine s’apparente à la grève bouchon, ou grève thrombose, manière de détournement par les ouvriers de la parcellisation des tâches. Les chaînes de la Régie Renault se situent d’ailleurs en pointe dans ce type d’action qui se développe à la fin des années 1960.

La loi du 31 juillet 1963 interdit son usage aux salariés de l’Etat.

3.6) Grèves générales

Elle s’apparente à « un arrêt concerté du travail s ‘étendant à tout le pays et à toutes les corporations – ou du moins englobant les services publics et les industries clés (transports, transmissions, mines, gaz, électricité, pétrole, alimentation, métallurgie…), ce qui paralyse les autres ». Sa réalisation, qui implique une généralisation de la grève au niveau tant national que professionnel, s’inscrit dans une perspective de transformation sociale. Mais elle est plus présente dans le discours que dans l’action. Même dans le bâtiment, figure de proue de ce syndicalisme, on repousse à plusieurs reprises sa réalisation, notamment en 1899 et en 1907. Elle est jugée hasardeuse, coûteuse pour les forces ouvrières et le syndicat lui-même, dont « elle viderait la caisse en moins d’une semaine ».

Le déclenchement de la Grande Guerre porte un premier coup à la grève générale : le mouvement ouvrier ne déclenche pas l’arrêt simultané du travail dans les pays belligérants comme l’avaient prévu les congrès internationaux (il y eut qu’une journée de grève le 16 décembre 1912 avec près de 80 000 grévistes selon les autorités et 600 000 selon les syndicalistes). Puis, au lendemain du conflit, l’échec cuisant de la grève des cheminots en 1920 que la CGT tente de généraliser, porte un deuxième coup fatal à la grève générale. Certes, des mouvements interprofessionnels paralysent ensuite à plusieurs reprises la production. Ainsi, la vague de conflits de mai-juin 1936, puis celle de mai 1968 aux accents sociaux et politiques montrent la persistance en France de luttes de grande ampleur. Les grèves générales de longue durée sont rares. Dans la seconde moitié du XXe siècle, celles-ci prennent au contraire la forme de journée d’action limitée dans le temps.

3.7) La journée d’action

La journée d’action, qui consiste à faire cesser le travail par une ou plusieurs professions pendant 24 heures, est une méthode d’apparition relativement récente. Elle prend racine en 1890 avec le 1er mai jour de grève en faveur des huit heures journalier. A partir des années 1920, les appels à des grèves interprofessionnelles de 24 heures se multiplient. Les motifs de grèves sont d’avantage politiques :

Le 12 octobre 1925 les organisations appellent à une journée de grève pour protester contre la guerre coloniale au Maroc.

Le 1er mars 1926 les organisations du secteur du bâtiment appellent à une journée de grève pour la défense des 8 heures.

Le 8 août 1927, les organisations appellent à une journée de grève en opposition à la condamnation à mort, aux Etats-Unis, de Sacco et Vanzetti.

Le 1er août 1929, les organisations appellent à une journée de grève pour le 15e anniversaire du déclenchement de la Grande Guerre.

Le 12 février 1934, les organisations appellent à une journée de grève en riposte aux émeutes des ligues d’extrême droite du 6 février.

Le 13 septembre 1934, les syndicats unitaire et confédéré des terrassiers et paveurs de la région parisienne appellent « leurs adhérents [à] cesser le travail pendant 24 heures à l’effet de protester contre la fin de non-recevoir opposée par les Chambres syndicales patronales aux cahiers de revendications que les groupements syndicaux en question leur avaient fait parvenir ».

Signalons également la journée de grève du 30 novembre 1938 lors du dernier grand conflit social de l’entre-deux-guerres.

La journée d’action doit représenter la démonstration de forces censée exprimer la mobilisation des salariés et permettre ainsi d’obtenir des concessions, d’engager une négociation ou de la poursuivre dans des conditions favorables.

Au cours des Trente Glorieuses en particulier, à un moment où les forces syndicales connaissent leur apogée, « la grève d’avertissement, à durée fixée par avance, se propose d’intimider l’adversaire en lui montrant la cohésion des salariés, mais sans lui infliger des dommages, qu’en fait les deux parties auraient à subir ».

Les journées d’action contribuent au rassemblement des organisations syndicales. Entre 1966 et 1977, chaque année sauf en 1970, une ou plusieurs initiatives de ce type sont organisées.

Plus récemment, la journée nationale d’action du 16 octobre 2001 pour « l’augmentation des salaires, la revalorisation des retraites, des minima sociaux et des allocations », « de nouvelles garanties afin de s’opposer aux suppressions d’emploi et à l’extension de la précarité », la « consolidation » du système de protection sociale et la clarification de ses financements, est appelée par les cinq confédérations (FO, CGT, CFDT, CFTC, CGC).

Mais au cours du dernier quart de siècle, la journée d’action perd en intensité.

3.8 ) Le débrayage

Le débrayage est une grève courte : de quelques minutes parfois, tout au plus quelques heures. Il a généralement un caractère défensif, est constitue la réponse immédiate à une décision patronale rejetée. Il est pratiqué pour s’opposer à des sanctions contre des syndicalistes, à une baisse de salaire ou au renvoi d’un ouvrier. Plus rarement, le débrayage est un mode de pression offensif. Voici par exemple à Paris, en décembre 1931, des électriciens qui font « la grève des bras croisés, pendant une heure, pour appuyer une démarche effectuée auprès de la direction par une délégation en vue d'obtenir le paiement des heures dues ». Plus rarement encore, le débrayage est une première escarmouche en forme d’avertissement. Ainsi, en décembre 1929, Le comité intersyndical unitaire des travailleurs des services publics et assimilés, après le rejet de ses revendications, « avait décidé, en signe de premier avertissement, un arrêt de travail d’une heure dans les divers services ».

3.9) Le piquet de grève

Le débauchage s’organise. Voici des maçons lyonnais qui, en juin 1831, après le rejet de leurs revendications, « traversèrent alors la ville et se dirigèrent sur la Croix-Rousse où ils se mirent à débaucher leurs camarades. Leur nombre passa de cinquante à deux cents ». Chez les mineurs, les bandes de grévistes qui marchent de puits en puits dans un spectacle de puissance massive font peur aux patrons et aux pouvoirs publics. Il n’est d’ailleurs pas rare, même une fois la coalition sortie de l’illégalité, que les forces de l’ordre cherchent à disperser les groupes d’ouvriers qui veulent étendre la lutte. Le 14 avril 1923, voici décrit une journée de débauchage durant la grève des couturières parisiennes :

« On part à deux ou à trois d’un certain point. Plus loin on se retrouve à six. Et quand on arrive à quelques centaines de mètres de l’atelier visé, on en a ramassé en route plusieurs dizaines.
C’est là. On se masse sous les fenêtres : ″ You ! you ! you ! ″ Des dizaines de voies joyeuses montent jusqu’aux fenêtres des ateliers […] ″ Descendez ! Descendez ! ″ Et souvent l’on descend avant que la police ait dispersé les débaucheuses.
Au 21 du faubourg Saint-Honoré, en voici une soixantaine qui montent chez Nelly sœurs. C’est au 4e étage. On n’y est pas arrivé que les flics sont là. Trois brigadiers de paix et deux hommes qui bousculent brutalement. […] Les cousettes fuient, éperdues. »

Des ouvriers placés aux abords de l’établissement cherchent à en empêcher l’accès, à inciter les non-grèvistes à entrer en mouvement. Il n’existe pas de terme bien affirmé pour désigner cette pratique au cours des deux premiers âges de la grève ; on parle de « sentinelle », « planton », ou surtout « postes ». Ce dernier terme, rattaché à l’expression anglaise picketing, est d’ailleurs employé au cours de l’entre-deux-guerres.

C’est après la Seconde Guerre mondiale, alors que les conflits du travail entrent dans l’age d’une pratique régulée, constitutionnellement légitimée et socialement intégrée, que les piquets de grève se généralisent. A l’utilisation de ce procédé répondent certes, parfois, des actions en justice de la part des employeurs, pour obtenir le déblocage des lieux de production. En dénonçant l’ « entrave à la liberté de circulation »

3.10) L’occupation des locaux

En 1855 se produit un fait qui intrigue le patron d’ouvriers tailleurs ; il l’évoque devant le tribunal chargé de juger cette coalition illicite :

« J’ai refusé [les réclamations] en leur disant que s’ils n’étaient pas contents de mon atelier ils pouvaient le quitter. Ils y sont restés cependant mais sans travailler. Quand d’autres ouvriers que j’avais dû embaucher sont venus pour les remplacer, ils n’ont pas voulu quitter l’atelier. C’est alors que n’étant plus maître chez moi j’ai eu recours à M. le commissaire de Police. »

La vague de conflits du Front populaire, en juin 1936, installe durablement en France l’occupation du lieu de travail. En juin 1936, près de 9000 occupations sont recensées. Une des fonctions de l’occupation est d’empêcher les patrons de recourir au lock-out et de se prémunir contre d’éventuels non-grévistes. Les occupations apparaissent donc comme un moyen de pression efficace, une manière de faire participer l’ensemble du personnel à la cessation du travail. Elles se déroulent dans l’ordre, dans l’organisation, sous la direction de comités de grève avec à leur tête des syndicalistes. Les machines sont protégées et entretenues : les grévistes ne veulent pas encourir le reproche de négligence ou de sabotage à l’égard de leur outil de travail. Ainsi ceux de la première entreprise occupée, l’usine d’aviation Bréguet du Havre, prennent-ils immédiatement la décision de créer « un service contre les incendies » et un autre « pour le nettoyage et la sauvegarde du matériel ».

La vie quotidienne des occupants est réglementée par les responsables des mouvements. Le ravitaillement est méthodiquement organisé, de même que les sorties, qui se font par roulement. L’alcool est proscrit, tandis que des pratiques festives remplissent le temps.

Les occupations contribuent aussi à forger une communauté solidaire qui se renforce au contact de la lutte en commun. Cet aspect est souligné par les femmes de la CIP qui en 1975, près de 40 ans après le Front populaire, occupent à leur tour leur usine : « On dormait là, on mangeait tous ensemble, alors que d’habitude on se voit que pour le travail et c’est tout juste si on se regarde ! »

En 2001, les salariés de l’Usine Bata de Sarrebourg (Moselle), après avoir reçu une lettre anonyme les informant d’un dépôt de bilan prochain, cessent immédiatement la production, et occupe l’usine ainsi que le dépôt qui contient 500 000 paires de chaussures. Ici, occuper permet aussi, en guise de monnaie d’échange, de garder la main sur un stock que l’employeur pourrait autrement récupérer. C’est ce qu’exprime à l’été 2001 un gréviste de la filature d’Hellemmes (Nord), occupée pendant six semaines après l’annonce de sa fermeture :

« Ce stock, c’est notre trésor de guerre, notre meilleur atout pour négocier un plan social correct. »

 

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Extraits du livre de Stéphane SIROT « La grève en France, une histoire
sociale (XIXème - XXème siècle) », édition Odile Jacob, septembre 2002